4 décembre 2020

SO FOOT.COM : “INZAGHI INCARNE LA PART REFOULÉE DE ZIDANE”

Psychanalyste et auteure en 2017 de La Vie augmentée. Comment la psychanalyse change une vie, Sabine Callegari propose cette fois-ci un voyage Dans la tête de Zidane. À la fois biographie d’âme et enquête psychanalytique, ce livre tend à décoder ce qu’on ne sait pas de Zidane, et ce qu’il ne sait peut-être pas lui-même.

PROPOS RECUEILLIS PAR MAXIME RENAUDET – 

Vous avez récemment publié Dans la tête de Zidane. Quel est le point de départ de ce livre, et l’objectif initial ?
Ce livre est né de deux courants. Le premier, qui remonte à mon enfance, est celui de ma passion pour le football. On ne peut pas analyser Zidane et se rapprocher de son âme sans connaître son milieu. Le second courant est le goût de la psychanalyse pour les énigmes humaines. Et on a en Zidane un être à la fois extrêmement riche, et extrêmement mystérieux. Pour la psychanalyse, c’est une énigme humaine profonde, mais aussi positive parce que c’est une magnifique épopée inspirante faite d’évènements marquants. Il y a le coup de tête, mais ce n’est pas le seul évènement, il y a son départ du Real Madrid alors que les bulles de champagne n’étaient pas encore reposées après la troisième victoire en Ligue des champions, ou son carton rouge contre Villarreal alors qu’il y a 17 caméras braquées sur lui pour faire un film qui sera projeté à Cannes.

Une psychanalyse ne se fait-elle pas nécessairement en présence du patient ?
La psychanalyse se fait en présence du patient s’il vient avec le désir de mieux se connaître. Dans ce cas, c’est une démarche thérapeutique et ça ne peut que se faire avec le patient. Maintenant, supposons que j’ai écrit un livre d’entretiens avec Zidane, et que ce dernier n’est pas dans une demande de psychanalyse, j’aurais eu affaire au discours officiel. Et en toute bonne foi, il m’aurait dit la même chose qu’il dit en interview ou dans des documentaires.

Justement, sur quoi vous êtes-vous appuyée concrètement ?
Il y a deux sources majeures. La première, qui appartient à la méthode psychanalytique et qui représente trois ans de recherche sur tous les documents que j’ai pu trouver, des biographies, mais aussi tout ce qu’il a exprimé lui : conférences, interviews, documentaires, ou ce qu’il a dit à ses proches. La seconde source consiste à mener une enquête dans le milieu. Vu que c’est un milieu naturel où j’ai beaucoup d’amis, j’en ai appris beaucoup plus que ce que je n’ai écrit. On m’a aussi parlé parce que je suis assujettie à une éthique. La psychanalyse ne sert pas à faire du sensationnel, elle recherche une vérité profonde sur l’être humain, mais avec bienveillance, et sans jugement. C’est intéressant dans le cas de Zidane car d’apparence, son mythe est incroyablement lisse. Tout le monde sait que c’est un joueur de génie, mais quand on parle de l’homme, c’est dévotion absolue pour un père parfait, mythe conjugal de l’éternel mari dans un mariage parfait, et management parfait. Mais si la vérité du mythe n’était que celle-là, pourquoi aurait-il eu des explosions comme celle du coup de tête ?

« Comment penser que Zidane en est arrivé là sans le désir puissant d’incarner une exception et entrer dans l’histoire ? »

Pour entrer dans la tête de Zidane, vous abordez cinq thèmes, dont celui de la figure du père, qui paraît beaucoup plus ambivalente qu’il n’y paraît.
Quand on se plonge derrière cette réalité familiale, on se rend compte de choses prégnantes et assez tragiques. On voit que ce père a tenu sa famille dans une sorte de droit chemin, mais qu’il y a un drame affectif qui se joue pour Zidane, car ce père ne lui donne jamais la pleine reconnaissance et la pleine fierté qu’il désire. Il veut être aimé pour tout ce qu’il est, et son père le traite comme un enfant parmi d’autres, supposé suivre un chemin pour les êtres ordinaires. Il dit : « Tout ce bruit autour de lui le gêne » , « Il n’a pas voulu être célèbre » . Comment peut-on penser ça quand on sait qu’un être humain est poussé par son désir de fabriquer son histoire ? Comment penser que Zidane en est arrivé là sans le désir puissant d’incarner une exception et entrer dans l’histoire ? Il doit beaucoup à son père, mais il ne l’aime pas comme on peut l’aimer nous Français, cet être d’exception.

Selon vous, le père n’est qu’une des quatre figures ayant joué un rôle inconscient en 2006 à Berlin. Il y aurait aussi Filippo Inzaghi, que vous présentez comme le double obscur de Zidane à la suite de sa prétendue liaison avec sa femme.
Ce qui est intéressant c’est qu’Inzaghi, ce bad boy et ce joueur sans foi ni loi, soit apparu dans l’épopée de Zidane. Dans la psychanalyse, quand un personnage apparaît dans votre vie et y tient un rôle important au point de déterminer un acte aussi dramatique, c’est qu’il se passe quelque chose au plan inconscient. Mon hypothèse, c’est qu’il y a une certaine fascination de Zidane pour Inzaghi, avec qui il a joué à la Juve. Il s’est passé quelque chose, sans doute des interactions inconscientes pour les deux. Je pense donc qu’Inzaghi incarne la part refoulée de Zidane, c’est-à-dire le bad boy qui existe en lui, mais qu’il ne peut pas laisser sortir à cause de la censure du père, du mythe collectif et du mythe conjugal.
Vous écrivez aussi que la chanteuse Nâdiya, à qui on a prêté une relation avec Zidane, a elle aussi joué un rôle dans ce coup de tête.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le fait qu’il y ait eu une liaison présumée avec une chanteuse, mais ce que Nâdiya représente pour lui. Je pense que depuis toujours, Zidane a un rapport à une figure de femme fantasmatique qui est la superpower, et c’est d’ailleurs pour ça que j’évoque sa fascination pour Madonna. En Nâdiya, il a rencontré cette figure de superpower féminin, qui est dans les tribunes ce jour-là, au même titre que son double obscur : Inzaghi, sa femme et son père. Tous les combustibles étaient présents depuis sept ans, et c’est ce jour-là que ça a explosé.

Pensez-vous qu’il ait pu avoir recours à la psychanalyse au cours de sa vie ?
Je ne suis persuadée de rien, car on entre dans le jardin secret de quelqu’un. Je pense que Zidane est d’une extrême intelligence, et même quand sa parole est épurée, elle est toujours d’une très grande justesse. On voit aussi dans son discours qu’il vit avec l’idée de l’inconscient et avec le fait qu’on puisse avoir des connexions avec des lieux de nous-mêmes qui sont invisibles. Il parle de sa connexion avec le ciel, d’état de grâce. Maintenant, rien dans son discours ne montre que la psychanalyse fasse partie de sa culture, et que ce soit une chose à laquelle il a eu accès.

Savez-vous si son entourage a lu votre livre ?
Je sais que des proches de sa communication ont passé des coups de fil à des personnes impliquées dans la médiatisation du livre pour que les sujets qui vont contre ce mythe dont on parlait soient étouffés. Après, est-ce que Zidane a lu le livre ? Je ne sais pas, mais je l’ai informé du projet, puis de la date de sortie. Ça a été en permanence une démarche courtoise, ouverte et transparente, donc en cohérence avec le sentiment qui m’anime envers lui. Ce livre est fait pour rendre hommage à un homme d’exception avec une démarche psychanalytique, et non pas en passant les choses sous silence ou en pensant qu’un mythe réducteur sert l’être humain. Je suis vraiment dans une démarche d’hommage, en espérant que le public l’aime d’un amour plus humain et plus éclairé.